La lutte sur la fermeture des magasins le dimanche

Quand notre histoire rencontre le présent :
Les employés du commerce de Nîmes 1897 / 1901 / 1902 / 2015
Même combat
La lutte sur la fermeture des magasins le dimanche.

 

En 1897, 1901, 1902 le syndicat des employés du commerce des deux sexes de Nîmes est confronté aux mêmes problèmes que leurs camarades du syndicat CGT des employés du commerce et des services de Nîmes de 2015 : imposer la fermeture effective des magasins le dimanche.
« Connaître l’histoire du mouvement syndical, c’est assimiler l’expérience des générations passées, pour mieux comprendre les conditions et innover en intégrant tout acquis de la classe ouvrière » discours de présentation de l’IHS CGT 1982.
Les exemples sont multiples de luttes du passé qui retrouvent une actualité dans les rangs des
travailleurs du XXIème siècle. Celui des employés du commerce luttant pour la fermeture des
magasins le dimanche est symptomatique.
Bien sûr, les conditions de rapport de force, les outils à disposition des travailleurs ne sont pas les mêmes entre des employés du commerce du début du XXème siècle et ceux du XXIème. Mais la revendication du repos hebdomadaire reste entière devant les coups du libéralisme qui n’a qu’un seul mot d’ordre « reprendre tout acquis et résister à toutes avancées sociales de la classe ouvrière ».

 

Eté 1897 première action pour le repos dominical.

Dès l’été 1897 les salariés du commerce de Nîmes organisèrent des réunions au sein de la Bourse du Travail en vue d’obtenir les mêmes avancées que leurs camarades de Marseille, Bordeaux  Limoges, Perpignan et d’autres villes de l’importance de Nîmes gagner le repos dominical.
Fort de la présence importante de salariés lors de ces réunions une commission est nommée pour rencontrer les patrons du négoce en vue d’un accord sur la fermeture des magasins le dimanche après-midi. Quelques-uns acceptent spontanément, les grandes maisons s’engagent toutes à fermer le dimanche après-midi à part deux trois maisons de second ordre. Dans le mouvement le syndicat des employés du commerce, représenté au conseil d’administration de la Bourse du Travail de Nîmes, se crée.
Tracts affiches, appels à la population couvrent les murs de Nîmes pour informer de cette avancée et appeler à la mobilisation pour que cet acquis soit général sur la cité.
Le magasin de la Maison Universelle vient compromettre ce résultat. M. Maubé, patron de cet établissement, décide d’ouvrir malgré ses engagements antérieurs et refuse tout dialogue.
La tactique employée par les salariés pour faire revenir cet employeur à de meilleurs sentiments est de provoquer des rassemblements devant et dans cet établissement situé boulevard Victor Hugo à l’angle de la rue de la Madeleine.
Le dimanche les manifestants entrent dans le magasin et circulent dans les rayons sans rien acheter, sous le regard d’une foule énorme qui vient se réjouir du spectacle. Au bout d’une heure, M. Maubé ferme le magasin. Le maire M. Reynaud prend un arrêté conforme aux désidératas des salariés. La cause des employés est désormais effectivement gagnée. Pour lire l’ensemble du compte rendu de cette action rédigé dans le Bulletin de la Bourse du Travail n°29 page 374 par Claude Gignoux co-créateur de la Bourse du Travail de Nîmes suivre le lien vers le site de l’ihscgt30.fr.

L’obtention de cette demi-journée de repos le dimanche était le résultat d’une lutte efficace où la Bourse du Travail donne les outils, les salariés syndiqués s’adressent alors à la population pour les informer des revendications légitimées.

 

Août 1901 : Quinze jours d’une ville en état de siège.

Dès 1901, le syndicat des employés du commerce des deux sexes de Nîmes reprend la lutte pour gagner repos dominical complet.
Le 10 août la Bourse du Travail de Nîmes interpelle les 20 syndicats adhérents pour participer à toutes les manifestations organisées par le syndicat des employés du commerce.
Dans le même temps le syndicat des employés du commerce adresse par voie de presse un appel à la population. Il rappelle les engagements de la majorité des employeurs qui décident de fermer le dimanche toute la journée à partir du 11 août. Il demande également aux nîmois de venir à la Bourse du Travail pour manifester dès 7h00 du matin devant les magasins qui refusent l’application du repos dominical.

La Bourse du Travail de Nîmes apporte son soutien au syndicat août 1901

 

Le syndicat appelle à l’action la population pour leur revendication sur le repos du dimanche août 1901

Le 11 août, 1200 manifestants se retrouvent devant l’établissement de M. Maubé, encore lui. Les camardes portent des pancartes avec l’inscription « N’achetez pas le dimanche ». Le magasin  ferme ses portes vers 10h00 mais le gérant présent informe les manifestants qu’il ouvrira le jeudi
suivant qui est férié et les dimanches suivants. La vingtaine de magasins ouverts subit le même sort à 11h30. Tous les magasins sont fermés et le syndicat appelle à une nouvelle manifestation le jeudi 15 août.
Le 14 août à nouveau, le syndicat appelle la population à venir les aider pour faire fermer les magasins qui veulent ouvrir.
Le matin du 15 août, ce sont 13 magasins qui restent ouverts. Les manifestants, après une réunion à la chapelle de l’ancien lycée de 7h à 8h, partent en cortège et défilent dans la ville en passant devant tous les magasins ouverts qui sont protégés par les gendarmes

Affiche appelant à la manif du 18 août 1901

Le dimanche 18 août une nouvelle manifestation a lieu. Devant la masse des manifestants et de la population nîmoise qui les accompagnent (environ 3000 personnes), les gendarmes et la police interviennent pour disperser la foule agglutinée devant le magasin « La Maison Universelle » de M. Maubé. Des échauffourées ont lieu. C’est sous la huée de plus de mille personnes qu’un manifestant est conduit au parquet par les forces de l’ordre après leur intervention musclée. Les journaux parlent d’une ville en état de siège.
Dans une réunion le syndicat décide d’organiser à partir du 19 une manifestation chaque soir de la semaine de 19h à 22h devant les magasins qui ouvrent et occupent des employés le dimanche.
Le 19 ce sont 2000 personnes qui sont à nouveau devant le magasin Maubé, la police arrive péniblement à évacuer les abords, les manifestants crient « Maubé faÏ ta malo ! fermera, fermera pas ? ». Le sieur Maubé sort un pistolet de sa poche et fait mine de s’en servir contre les manifestants rentrant dans son magasin. Il insulte les manifestants

 

 

Affiche rendant compte de la manifestation du 19 août 1901 et de l’attitude des employeurs récalcitrants

Le 20 au soir ce sont 3000 personnes qui sont rassemblées devant le même magasin sans incident.
Mais la situation est de plus en plus tendue. L’adjoint au maire faisant fonction de premier magistrat fait placarder sur les murs de Nîmes un avis appelant aux militants du syndicat d’arrêter de manifester. Le syndicat lui affiche un appel à la population sur l’attitude de l’administration municipale. Une manifestation a lieu devant la mairie aux cris de « démission ».

 

L’avis de la municipalité du 20 août 1901 et la réponse du syndicat.

 

Plus de 12 manifestations ont lieu, mais le 31 août force est de constater que les manifestants se réduisent, Ce matin-là le syndicat n’obtient pas 200 militants présents pour lancer la manif, Il décide d’une trêve, pour relancer une action nationale le 12 janvier 1902. La violence des ripostes policières, l’attitude de la mairie, la condamnation de salariés d’autres magasins condamnés pour avoir participé aux rassemblements et l’intransigeance d’une minorité de patrons ont mis à mal la volonté des militants malgré le soutien massif de la population nîmoise. Dans le numéro de juin, juillet et août 1901 du bulletin de la Bourse travail de Nîmes le secrétaire du syndicat des employés du commerce David Cournier fait l’analyse du mouvement de l’été 1901.

(Cet article sera bientôt en ligne sur le site de l’IHS CGT du Gard, il est consultable à la bibliothèque de l’IHS CGT du Gard)).

 

                                                                                                            Affiches d’août 1901

 

Janvier 1902 : l’action nationale ne se fait pas.

Le 12 janvier 1902 les actions reprennent une réunion a lieu dans la chapelle de l’ancien lycée. Ci- joint le compte rendu de cette réunion.
A la lecture de ce document la revendication du repos dominical est la même qu’aujourd’hui, et le syndicat appelle les élus à légiférer rapidement sur l’obligation du repos dominical.
A la suite de ce meeting et de cette résolution les militants décident de manifester.

Résolution du syndicat des employés de commerce des deux sexes du 12 janvier 1902.

 

La manifestation démarre de la chapelle de l’ancien lycée. Une voiture traînée par un âne avec à son bord un homme jouant du tambourin parcourt les rues de Nîmes. Sur cette voiture est écrit « Pour le repos des employés n’achetez rien chez les commerçants récalcitrants ». Le fameux magasin de M. Maubé est fermé. Des camarades distribuent des tracts titrés « un bon conseil ». (Voir ci-dessous).
Le syndicat interpelle le préfet et le maire pour qu’une loi imposant le jour de repos le dimanche soit votée avant la fin de la législature.
Les manifestations vont se répéter mais petit à petit elles vont se réduire pour se limiter à faire tourner en ville la voiture de propagande, des tracts vont être distribués, des affiches collées.
L’action s’arrête le 9 février.

Affiches collées sur les murs de Nîmes en janvier 1902 interpellant les nîmois                                                         *
Tracts distribués le 12 janvier 1902

La revendication de la semaine anglaise va durer encore, mais les actions sur Nîmes n’atteignent jamais la puissance populaire du mois d’août.
Il faut attendre le 13 juillet 1906 pour voir une loi votée après la catastrophe de Courrière.
Cependant cette loi prévoit des dérogations que les préfets accordent très largement aux commerçants et négociants.
C’est seulement après la guerre de 14-18 en 1919 que la loi sur le repos hebdomadaire est réellement appliquée avec la journée de 8h.
En 1936 la semaine de 40h conforte le repos dominical. Les luttes de la fin du XIXème parlaient de la semaine anglaise, le week-end est consacré avec le front populaire.
Ce qu’a d’exemplaire la lutte des employés du commerce de Nîmes en 1901 / 1902 est le rapport étroit qu’ils ont avec la population, la solidarité syndicale portée par la Bourse du Travail, leur détermination sur plusieurs mois de lutte, leur sens de la propagande, les interpellations des
sénateurs et députés du Gard en constatant les limites.
Aujourd’hui la loi Macron est un véritable retour au 19 ème siècle avec la possibilité de convention dérogeant aux lois et accords existants.
La loi Macron a pour but de s’affranchir du droit du travail avec la mise en parallèle des attaques contre la prudhommie et l’inspection du travail. Ce projet n’a qu’un but, réduire les salariés dans un état de soumission et de dépendance.
La seule réponse est la lutte comme en 1897, 1901, 1902. La comparaison des slogans des affiches de 1900 et celle de 2015 restent d’une terrible actualité

                                                                                                 Tracts de la fédération des commerces et services 2015

 

Sources
Bulletin de la bourse du travail de Nîmes Tome 1 n°29 page 372
Bulletin de la bourse du travail de Nîmes Tome 2 n°73 page 467
Archives Départementales du Gard cote 1 M 815.

Fédération CGT du Commerce et service 2015.
IHS CGT du GARD Février 2015